Conférence introductive à la journée d’études LOUSTic-PREFics 26-27 juin 2014

Innovations technologiques en contexte professionnel, perspectives historiques et scientifiques pour les sciences de l’information et de la communication

Nous avons donc voulu aujourd’hui traiter des « Innovations technologiques en contexte professionnel ». Evidemment, ce sont les dispositifs numériques qui prennent une place centrale aujourd’hui dans les analyses comme on le verra dans les communications des collègues. Dispositifs numériques donc et comme disent certains, dispositifs sociotechniques de l’information et de la communication ou DISTIC parce qu’évidemment, on ne sépare pas la technique du social dans les analyses. On ne peut pas penser une innovation technologique sans penser une innovation organisationnelle ou sociale. Qui dit innovation dit nécessairement intrication avec un corps social ou un corps organisationnel et c’est ce qui fait la différence avec l’invention. On est en tout cas bien obligé de constater que les innovations technologiques, disons les DISTIC, s’insèrent de plus en plus dans notre vie quotidienne dont la vie professionnelle fait partie. Les médias sociaux, les terminaux mobiles, les plateformes collaboratives, les logiciels en tout genre… le rêve de la « killer application », c’est-à-dire l’application qui permettrait de réunir l’ensemble des flux d’information sur un seul terminal, s’éloignent de plus en plus mais reste cependant très prégnant dans de nombreuses organisations.

En tout cas, les objets numériques affectent nos façons de travailler ensemble, nos manières de développer des connaissances, à tel point que le terme de « culture numérique » (Doueihi, 2013) a émergé, culture au sens anthropologique du terme. Evidemment, cette nouvelle culture numérique qui émerge s’insère nécessairement dans des pratiques cristallisées, dans des identités professionnelles, dans des traditions, dans des routines organisationnelles…. Et ce qui est notamment intéressant d’observer donc, c’est la manière dont ces dispositifs reconfigurent les cultures, les formes d’activité, comment les utilisateurs détournent ces innovations, braconnent, comment ces innovations s’inscrivent dans des contextes professionnels particuliers. C’est pourquoi le sous-titre de ces journées d’études est « Continuités et ruptures dans les conceptions et les pratiques ». Que ce soit dans les organisations de santé, dans des organismes publics, dans des agences qui développent des objets numériques, dans des PME… l’angle de ces journées d’études est d’étudier ces innovations technologiques et organisationnelles dans leur relation avec des contextes professionnels particuliers qui vont avoir une pratique spécifique de ces innovations.

Et pour comprendre la conception de ces innovations et les pratiques qui y sont associées, nous avons tout intérêt à dialoguer entre disciplines, et c’est aussi le sens de ces journées qui font intervenir les sciences de l’ingénieur, l’économie, la sociologie, l’ergonomie, le droit, les sciences de l’information et de la communication et même la neuro-radiologie pour la table-ronde e-santé, etc.

Mais si l’on prend le strict point de vue des sciences de l’information et de la communication, quel pourrait être l’ancrage scientifique ? En quoi les notions d’information et de communication peuvent nous aider à penser les innovations technologiques ?

L’une des options est peut-être de revenir à Norbert Wiener et aux conférences Macy pour mettre tout ça en perspective.

Wiener, mathématicien, physicien, développe une réflexion, que l’on retrouve dans les dix conférences Macy qui vont se tenir de 1946 à 1953. Dès les premières conférences qui rassemblent sciences exactes et sciences sociales, les chercheurs cherchent à comparer l’ordinateur à un cerveau, ce qui ouvre sur les questions de cognition et de modélisation de la connaissance. On va ici avoir une théorie de l’information qui émerge et qui va permettre de décrire les phénomènes d’interaction dans des environnements technologiques et sociaux.

On est dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, et on a des scientifiques qui travaillent sur les problèmes de prédiction et notamment donc Wiener sur les systèmes de DCA (Défense Contre Avion) ou comment anticiper sur le comportement d’un avion ? Et c’est le concept d’information qui va être identifié pour décrire le couplage entre les radars et les canons de DCA. La notion d’information « comme étant la grandeur circulant dans les boucles de rétroaction » (Segal, p. 67). A la fin de la guerre dans les années 1940, on a donc une véritable «théorie de l’information» qui nait, et qui est ensuite appliquée afin de comprendre le fonctionnement de l’esprit humain dans l’acquisition des connaissances.

On pourrait donc dater la naissance de la théorie de l’information à 1948. Shannon publie cette année-là La Théorie mathématique de la communication. Et Wiener, lui, publie Cybernétique ou théorie de la commande et de la communication dans l’animal et la machine. C’est lui qui élargit la théorie mathématique de la communication proposée par Shannon. Wiener présente un projet beaucoup plus ambitieux : unifier plusieurs disciplines autour des concepts clés : information, communication et rétrocontrôle. Nous avons donc toute une analogie qui se développe entre les ordinateurs et le cerveau que l’on va retrouver dans les titres des communications pendant les conférences Macy.

Le titre de l’intervention de Von Neumann par exemple lors de la première conférence Macy est : « Les machines à calculer, leur comportement formel, notamment pour la mémoire, l’apprentissage et l’enregistrement ». Bateson dira aussi « qu’en anthropologie de nombreux rites peuvent être traduits en termes de mécanismes homéo statiques destinés à assurer la pérennité du groupe social » (Segal, p. 189). L’information et la communication comme dispositif de régulation dans des systèmes complexes deviennent des notions centrales.

Ce qui ouvre sur la question de la cognition. Comment l’information et la connaissance circulent-elles dans ces boucles de rétroactions ? Dans ces situations de couplage ? Comment rendre compte de ces processus ? Ce sont des réflexions qui, à la suite des conférences Macy, vont prendre au moins deux directions : l’une vers l’intelligence artificielle, et l’autre vers un courant économique et managérial.

Du côté de l’intelligence artificielle, on a par exemple Shannon qui dépose en 1956 une demande de financement qui précise : « Nous proposons qu’une étude de deux mois avec dix hommes, sur l’intelligence artificielle, soit menée durant l’été 1956 au Darmouth College de Hanover, dans le New Hampshire. L’étude consiste à partir de l’hypothèse selon laquelle tous les aspects de l’apprentissage ou toute autre partie de l’intelligence peut en principe être si précisément décrite qu’une machine peut être faite pour la simuler » (Segal, 2004). Shannon dira lui-même qu’il a pris conscience du fait que les ordinateurs pourraient représenter « un outil beaucoup plus général et plus puissant » qu’une machine à calculer. C’est-à-dire l’idée selon laquelle ces nouvelles machines sont susceptibles de cristalliser de l’intelligence humaine, de cristalliser de la mémoire, de cristalliser des gestes, de cristalliser des processus cognitifs. Sous cet aspect, la cybernétique peut donc être considérée comme l’ancêtre des sciences cognitives.

Je pense qu’il faut associer ce courant de recherche avec un courant économique et managérial.

Nous avons Penrose qui sort en 1959 « Theory of the growth of the firm » et explique qu’une entreprise subit une perte de capital lorsqu’un salarié quitte l’entreprise.Tout à coup, la connaissance acquiert une valeur économique. Et ça, ça a ouvert la voie au fait de placer le savoir au cœur des processus de production de valeur. Et donc on a toute une réflexion autour des notions d’information et de connaissance. Mais comment conserver cette connaissance ? Et où est-elle ? Est-ce qu’elle est seulement dans la tête des gens ? Certainement que non puisqu’on a vu que les ordinateurs étaient en capacité de cristalliser de l’intelligence.

Cette question a notamment été abordée par Nelson et Winter à travers les notions de répertoire de connaissances et de routines organisationnelles. Ils sortent un bouquin en 1982 qui s’appelle « An evolutionary theory of economic change ». Ils montrent que la connaissance se trouve en fait dans les routines organisationnelles, c’est-à-dire dans les manières de faire, dans l’exercice quotidien des connaissances accumulées par l’organisation de travail. Mais ce constat implique évidemment une chose. Si la connaissance réside dans le développement d’un processus de travail plus ou moins coordonné, ça signifie que la connaissance est totalement distribuée dans l’environnement entre des individus et des dispositifs machiniques.

On peut donc observer les dispositifs numériques comme des dispositifs de mémoire, des dispositifs distribués qui ont accumulé des connaissances et qui sont en capacité de les mobiliser. Hutchins est l’un de ces auteurs qui a montré la capacité d’un cockpit d’avion à se souvenir de ses vitesses par exemple. Mais plus près de nous, Jean-Max Noyer a aussi exploré cette question de la mémoire qui renvoie aussi à la question des dispositifs cognitifs.

Ce qu’il s’agit d’analyser, ce sont des dispositifs cognitifs, ce sont des activités professionnelles qui se caractérisent « de plus en plus par un travail de coopération entre hommes et machines grâce à la mise en place de systèmes informatiques distribués » (Turner, 1991).

 Cette approche s’applique à de nombreux terrains d’observation. Prenons l’exemple du logement social sur lequel je travaille. Comment penser les innovations technologiques dans les processus de construction et de réhabilitation des logements sociaux ? Ce sont des processus qui sont en voie de numérisation et qui implique la collaboration d’un ensemble d’acteurs très différents : élus, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, architecte, entreprises, habitants… et donc qui implique la collaboration d’un ensemble de systèmes techniques très différents, de systèmes de connaissances différents, de représentation, de routines organisationnelles… La numérisation des collaborations est donc une numérisation des processus cognitifs qui se sont cristallisées dans des objets et des routines.

L’USH, l’Union Sociale pour l’Habitat, est encouragé par de nombreux éditeurs de logiciel et par la vague déferlante du numérique, à ouvrir une réflexion pour développer ce qu’ils appellent le bâtiment numérique. C’est-à-dire travailler à la numérisation des processus professionnels pour favoriser la collaboration entre tous les acteurs d’un projet de construction ou de réhabilitation. On y retrouve le discours utopique selon lequel la numérisation va permettre de produire des logements de meilleure qualité. Mais l’enjeu est bien de comprendre comment les pratiques se sont cristallisées dans des procédures et comment les innovations technologiques et organisationnelles vont venir bouleverser les manières de faire instituées. Il y a des enjeux évidents de mémoire organisationnelle, d’accompagnement du changement, des enjeux d’information au sens de ce qui va permettre à cet environnement complexe de tenir ensemble, ce qui va transiter dans les boucles de rétroaction.

Cela fait environ une vingtaine d’années que le numérique est appelé à modifier les pratiques et la collaboration entre tous les acteurs de la chaîne de construction. Mais la révolution perpétuellement annoncée n’est pas là. Nous nous inscrivons plutôt dans des évolutions de long terme où le contexte de chaque projet et de chaque acteur doit fortement être pris en compte. Le désir de créer une interface numérique unique pour mener les projets de construction et de réhabilitation apparaît à bien des égards comme un projet utopique qui a le défaut majeur de ne pas prendre en compte l’histoire et la mémoire technique et organisationnelle de chaque acteur.

L’information et la connaissance sont donc deux concepts clefs pour comprendre les innovations technologiques, l’information désignant ce qui permet de maintenir la régulation dans un système complexe et la connaissance comme ce processus d’interaction et de couplage entre la technique et les acteurs.

 

Bibliographie

M. Doueihi, Qu’est-ce que le numérique ?, Presses universitaires de France, Paris, 2013.

E. Hutchins, How a cockpit remembers its speeds, cognitive science, 19, 265-288, 1995

D. A. Norman, (1993), « Les artefacts cognitifs », dans Bernard Conein, Nicolas. Dodier et Laurent Thévenot (dir.), Les objets dans l’action, Raisons pratiques, n° 4, Paris, Éditions de l’EHESS, p. 15-34, 1993.

J.-M. Noyer, Vers une nouvelle économie politique de l’intelligence, In Solaris, n° 1, Presses Universitaires de Rennes, 1994. http://gabriel.gallezot.free.fr/Solaris/d01/1noyer1.html

E.T. Penrose, The theory of the growth of the firm, New-York, Wiley, 1959.

J. Segal, Le zéro et le un. Histoire de la notion scientifique d’information au 20e siècle, Editions Syllepse, Paris, 2003.

J. Segal, Du comportement des avions ennemis aux modélisations de la connaissance : la notion scientifique et technique d’information, Intellectica, 2004/2, 39, pp. 55-77

G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier-Montaigne, Paris, 1969.

W. Turner, L’impact des réseaux sur les conceptions documentaires dans les entreprises, Colloque ENSSIB, Lyon, Nov. 1991.

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Appel à communication : Innovations technologiques en contexte professionnel. Continuités et ruptures dans les conceptions et les pratiques

Journées d’étude Loustic PREFics MSHB

26 et 27 juin 2014

Innovations technologiques en contexte professionnel.

Continuités et ruptures dans les conceptions et les pratiques

Les technologies numériques de l’information-communication (TNIC) occupent désormais une place centrale dans la plupart des situations et contextes professionnels. Elles participent à la construction des processus de travail et jouent un rôle déterminant dans la qualité de ces processus. Les acteurs les utilisent et développent des pratiques de telle manière que se mettent en place dans les organisations une véritable culture socio-technique numérique, ainsi que des politiques d’écritures numériques. Les TNIC apparaissent comme une ressource incontournable tant pour les industriels que pour les acteurs de la recherche :

– pour les premiers, elles condensent les innovations techniques qui pourraient permettre de sortir de la crise en passant à une économie de la contribution.

– pour les seconds, elles font surgir des problématiques de recherche nouvelles.

Par leur ergonomie, par leur capacité à capitaliser des connaissances et à les mobiliser, par les ressources qu’elles apportent pour collaborer et se coordonner, ou pour soutenir l’intelligence organisationnelle, les TNIC constituent un champ d’étude incontournable.

Elles accompagnent en effet aujourd’hui toutes les formes de recomposition des frontières organisationnelles, et d’innovations managériales qui mettent en avant les notions de projet, d’autonomie et de délégation de la responsabilité.

Le numérique vient donc bouleverser la manière de concevoir et de pratiquer. Les chercheurs peuvent accompagner les industriels en amont dans la production de dispositifs innovants, en analysant les dimensions d’ergonomie, d’acceptabilité des produits. La collaboration entre les PME/grands groupes industriels et la recherche universitaire pour la conception de produits ou services numériques innovants s’avère fructueuse, notamment lorsque l’utilisateur est placé au centre du processus de conception, ceci dès les premières phases.  Les retombées de la démarche de conception centrée utilisateur sont d’autant plus larges que l’équipe de conception inclut des compétences et des points de vue pluridisciplinaires.

Sans être exhaustif, les propositions de communication pourront porter sur les innovations techniques qui mettent en jeu des questions autour :

–       de la capitalisation et de la rationalisation des connaissances : la mobilisation de l’information, de la connaissance et du savoir via des dispositifs technologiques est devenue une question centrale au cœur des enjeux économiques et sociaux. Quels types de dispositifs sont aujourd’hui en cours de développement dans les diverses organisations ? Quels enjeux dans les entreprises (plateforme collaborative et projet), dans le secteur de la santé (e-santé, télémédecine, télésanté et télédiagnostic), dans le secteur des relations-presse (recomposition du secteur autour du numérique) ou en communication publique ? Autant de perspectives de terrains qui méritent d’être questionnées et abordées.

–       de la compréhension d’une nouvelle économie qui s’articule autour du numérique. Assiste-t-on à l’émergence d’une économie de la contribution, caractérisée par l’essor du marketing social, de la responsabilité sociale des entreprises, et tendant vers de nouveaux modèles économiques acceptables ? (enjeux dans le secteur de la presse, de l’industrie automobile, des entreprises).

–       des frontières organisationnelles : la ligne de partage entre l’espace public, privé et professionnel est très fortement mise sous tension par le numérique. Quelles sont les nouvelles frontières entre ces nouveaux espaces ? Que dire du statut des « travailleurs mobiles » au plan juridique ? De là notamment le développement de la souffrance au travail puisque dans ce contexte, le temps de travail n’est évidemment pas cloisonné aux frontières de l’entreprise ou à la durée légale du travail.

–       des dispositifs sociotechniques, normes et temporalités organisationnelles : les innovations techniques sont-elles des vecteurs d’accélération ou de ralentissement des formes, des normes et temporalités organisationnelles ? Le travail se réalise-t-il plus rapidement ? A l’heure de l’ « innovation permanente » (B. Siegler) les dispositifs sociotechniques numériques interrogent les processus de cristallisation des connaissances et de mémoire, et ceux de partage et de collaboration. Nous privilégierons les propositions de communication qui s’appuieront sur l’analyse des dispositifs émergents concrets (usages des dispositifs mobiles dans la coordination de l’activité, usages des réseaux sociaux numériques, serious-games, etc.)

Modalités de proposition de communication

Les auteurs sont priés d’envoyer un résumé de 8 000 signes (espaces compris) aux trois adresses suivantes : catherine.loneux@univ-rennes2.fr, bruno.chaudet@univ-rennes2.fr et marcela.patrascu@univ-rennes2.fr. Les propositions seront expertisées en double aveugle par le comité scientifique.  Pour cela, elles doivent être enregistrées en deux fichiers.

–       Premier fichier : titre de la communication, nom, prénom, institution, adresse postale, adresse électronique.

–       Deuxième fichier : communication seule anonyme où l’auteur exposera clairement sa problématique, son objet, ses références théoriques, sa méthodologie et le plan de sa communication.

La date limite d’envoi des propositions est le 31 janvier 2014 à minuit.

Les notifications d’acceptation seront adressées aux auteurs à partir du 10 mars 2014. Un texte complet de 30 000 signes (espaces compris, bibliographie non comprise) sera demandé aux auteurs acceptés pour le 30 mai 2014.

Règles typographiques

Titre de la communication : Times new roman, gras, taille 18 pour le titre, suivi du prénom, nom et institution représentée en gras, taille 12.

Police : Times new roman, taille 12 pour le texte et taille 10 pour les notes de bas de page. Interligne simple.

Comité scientifique

Responsables du comité scientifique

Catherine Loneux, Rennes 2, PREFics

Bruno Chaudet, Rennes 2, PREFics

Marcela Patrascu, Rennes 2, PREFics

 

Autres membres du comité scientifique

Patrice Barbel, Rennes 1, IETR, Ecole supérieure d’ingénieur de Rennes

Annie Blandin, Télécom Bretagne

Jean-Luc Bouillon, Rennes 2, PREFics

Didier Chauvin, Rennes 2, PREFics

Florian Hémont, Rennes 2 PREFics

Nicolas Jullien, B-Com, Télécom Bretagne

Christian Le Moënne, Rennes 2, PREFics

Elise Maas, Rennes 2, PREFics

Bertrand Parent, EHESP

Ariane Tom, Loustic

 

Comité d’organisation

Bruno Chaudet, Rennes 2, PREFics

Eric Jamet, Rennes 2, Loustic

Catherine Loneux, Rennes 2, PREFics

Marcela Patrascu, Rennes 2, PREFics

Ariane Tom, Rennes 2, Loustic

 

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Sujets 2013 Ecritures et organisations, développement des systèmes normatifs

sujets Ecritures et organisations

Veuillez trouver ci-joint la répartition et les sujets pour le dossier du cours Ecritures et organisation, développement de systèmes normatifs.

Les normes du dossier sont les suivantes :

15 000 signes par auteur
Times New Roman corps 12 interligne 1,5

Date limite de remise des dossiers : vendredi 19 avril  sur la plateforme compilatio à cette adresse : http://www.compilatio.net/collecte/cgqtw

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Rattrapage cours UEP L2 « Organisations, traces et écritures »

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Pratiques autour d’une plateforme collaborative : quelle méthode de description de l’intelligence organisationnelle ?

Texte présenté lors des doctorales de la SFSIC, le 31 mars 2011 à Bordeaux.

Cet article a pour objectif de présenter une méthodologie de description de l’intelligence organisationnelle. Il aborde une question professionnelle qui est aussi une question de recherche : comment pourrions-nous décrire l’intelligence organisationnelle ? En contexte managérial, la description des processus aide à saisir les logiques de flux qu’il s’agit de contrôler et d’évaluer. Mais dans quelle mesure cette description peut-elle produire des effets dans le champ scientifique ? Si la description managériale est tendue vers l’efficacité, nous proposons d’élargir les éléments de cette description aux écritures, temporalités, institutions, mémoires, outils, actants, qui forment les situations prises dans des logiques processuelles finalisées. D’un point de vue opérationnel, nous proposons également un élargissement de son usage comme aide à la conceptualisation des espaces-temps des plateformes collaboratives.

Introduction

La question de la mobilisation des compétences, des informations, des connaissances, des savoirs, des intelligences, appuyée par un ensemble de technologies est aujourd’hui devenue centrale (Corniou, 2002). Dans un contexte où l’information et la connaissance sont des éléments qui participent à l’avantage concurrentiel, leur capitalisation et la création d’un dispositif permettant de les mobiliser en situation sont au coeur des problématiques actuelles qui pourraient alors se résumer autour de la question suivante : Quelle méthode ou quel dispositif pourrions-nous mettre en oeuvre pour tenter de décrire et d’accompagner l’intelligence organisationnelle ? C’est une question de recherche et une question professionnelle à la fois. Quels sont les éléments qui pourraient venir nous aider à décrire et à accompagner les phénomènes de propagation de l’information, de la connaissance et de l’intelligence organisationnelle ? Quel dispositif, quelle méthode pourrions-nous adopter en sciences de l’information et de la communication, et plus particulièrement en communication organisationnelle, pour éclairer les pratiques professionnelles que nous observons ?

Dans cette méthode, la catégorie d’information est vue comme un processus de propagation de formes et renvoie au séminaire « Entre normes et formes » (2008-2011) organisé par le PREFics. L’information y est considérée comme condition d’émergence de formes sociales et prend ses racines dans l’anthropologie des sciences et des techniques. (Leroi-Gourhan, Simondon, Simmel, Stiegler). Dans cette perspective, les formes techniques participent à la construction de l’humanité et à la construction des situations. Dans notre contexte, l’information organisationnelle doit donc être étendue à l’ensemble de ce qui constitue l’environnement. Par extension, nous dirons qu’une intelligence organisationnelle est le mouvement des informations organisationnelles en interaction qui participent à la construction des situations et des processus pour lesquels l’organisation a été créée. Nous reprenons ici les thèses de la cognition distribuée d’Edwin Hutchins qui fait passer l’unité d’analyse de l’individu à l’ensemble du système socio-technique. Dans la même perspective, Michel Callon et Bruno Latour forgent le concept d’acteur-réseau définit comme un composite d’humains (discours, actions, représentations…) et de non-humains (électrons, rochers, microbes, coquilles Saint-Jacques…). En d’autres termes, les processus étudiés le seront, autant que faire se peut, dans une « énaction » complexe telle que formulée par Francisco Varela, c’est-à-dire où l’environnement se co-construit par l’ensemble des interactions situées.

Après avoir présenté notre terrain et une méthode de description inspirée des pratiques professionnelles de description des processus, nous appliquerons cette méthode à quelques situations professionnelles issues d’un des processus centraux de SH, « Produire », autrement appelé « Construire pour louer ». Nous verrons aussi que cette méthode permet d’organiser les pratiques autour des dispositifs numériques, qu’ils relèvent essentiellement de la coordination (progiciel de gestion intégrée) ou de la coopération (plateformes collaboratives).

I – Quelle description des processus professionnels pour une thèse ?

SH est un office public de l’habitat dont les logements (14 000) et les collaborateurs (290) sont répartis sur tout un département. Depuis 2002, cet office est engagé dans une démarche de description des processus accompagnée d’un développement intensif d’internet par la mise en oeuvre d’un projet One net, c’est-à-dire d’un projet associant internet, intranet et extranet.

La description des processus a permis de figurer les logiques d’action sous forme transversale. La méthode employée a été la suivante. Le comité de direction a préalablement réalisé tout un travail de définition des buts de l’entreprise. A ce jour, une soixantaine de buts ont été définis. A chaque but correspond un processus qui ont ensuite été regroupés par catégorie. Par exemple, SH doit étudier la faisabilité d’un projet (un but), construire pour louer (un but), attribuer un logement (un but), gérer la demande (un but)… Ces buts ayant été posés, des acteurs participant à la réalisation de ces processus se sont réunis pour définir l’ensemble des activités qui permettent de les atteindre. Il s’agissait pour eux de définir quels acteurs, réalisent quelle actions, dans quelles interactions et pour produire quoi ? Cette méthode a permis de décrire des situations de travail et de communication en interaction qui produisent des livrables intermédiaires.

Aujourd’hui, la méthode et les processus sont essentiellement utilisés dans le cadre de deux pratiques :

      1. la méthode est utilisée comme une aide à la conceptualisation en phase d’anticipation et de préparation de projets : avant de s’engager dans un projet, les acteurs doivent co-construire un processus projet, c’est-à-dire l’ensemble des activités et des livrables qu’ils devront produire dans une logique temporelle et interactionnelle.

2. la description des processus a permis la mise en place d’indicateurs sur les situations de travail qui mesurent des écarts par rapport à des normes conventionnellement admises. Si l’écart est trop important, les acteurs doivent mettre en oeuvre des actions correctives. Les indicateurs sont temporels (délais moyens) et financiers. Les situations de travail et de communication considérées comme stratégiques, et donc les acteurs qui en ont la responsabilité, sont alors soumises à deux catégories d’indicateurs : des indicateurs de temps et des indicateurs de coûts.

Nous proposons de reprendre, d’élargir et d’enrichir cette méthode d’analyse des processus dans le cadre de notre thèse en y intégrant les écritures (livrables, référentiels, traces diverses…), les mémoires (mémoire et remémoration), les temporalités, les institutions, les outils à l’heure du développement d’internet et des plateformes collaboratives en particulier.

Nous reprenons trois variables de base : les actants, les actions et les interactions qui sont engagés dans des processus finalisés. Les processus sont choisis en fonction de nos connaissances et nos possibilités de participer ou d’observer ces situations de travail. En qualité de moniteur collaboratif en charge des agencements des plateformes collaboratives, nous sommes un acteur dans le système depuis huit ans qui avons vécu de nombreuses situations liées aux processus professionnels de SH. Ainsi, nous observons et enrichissons un dispositif d’observation qui nous permet de rendre compte de pratiques au regard des problématiques des sciences de l’information et de la communication. Dans ce flux de travail où c’est la question de la coordination, de la coopération et la gestion des temporalités qui est centrale, l’une des difficultés est de délimiter des situations de travail et de communication relativement stables. Ce seront ces situations de travail, et leurs interactions finalisées qui formeront le socle de la description dans laquelle nous y insérons :

  • les actants,
  • les actions,
  • les interactions ou le type de relation entre les acteurs engagés dans l’action (coordination, coopération),
  • le caractère instituant ou destituant de la situation en cours,
  • les écritures (traces descendantes et ascendantes (Le Moënne, 2008), référentiels professionnels, livrables)
  • les mémoires (mémoire organisationnelle et remémoration organisationnelle) (Grosjean et Bonneville, 2009),
  • les temporalités hétérogènes (discontinuités, ruptures de flux, accélérations, ralentissements),
  • les outils associés aux situations et permettant de les réaliser.

La seconde vertu heuristique de cette description est qu’elle permet de conceptualiser des espaces de travail sur plateforme collaborative où là aussi, l’une des difficultés majeures, c’est de construire des espaces qui soient relativement stables en synergie avec les situations de travail.

Nous sommes donc proche de la tâche de la science telle que définit par Karl Popper : « La tâche de la science est en partie théorique – explication – et en partie pratique – prédiction et application technique » (Popper, 1979).

II – Une description du processus « Produire »

Le processus « Produire » symbolise l’enchaînement de toutes les activités de la réalisation d’une opération de construction ou de réhabilitation. Il est encadré par un ensemble de référentiels : Code des marchés publics, loi MOP (relative à la maîtrise d’ouvrage public et à ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée), le référentiel Cerqual H&E (Qualitel), le label BBC Effinergie.Les échanges y sont nombreux avec divers services de SH, mais aussi avec des acteurs externes : maîtrise d’œuvre, contrôleurs, entreprises.La loi MOP définit qu’il appartient à la maîtrise d’ouvrage « après s’être assuré de la faisabilité et de l’opportunité de l’opération envisagée, d’en déterminer la localisation, d’en définir le programme, d’en arrêter l’enveloppe financière prévisionnelle, d’en assurer le financement, de choisir le processus selon lequel l’ouvrage sera réalisé et de conclure, avec les maîtres d’oeuvre et entrepreneurs qu’il choisit, les contrats ayant pour objet les études et l’exécution des travaux » (Loi MOP). Autant d’éléments que nous retrouvons évidemment dans le processus Produire dont il s’agit de présenter l’enchaînement des actants.

La première activité du processus « Produire » correspond à la rédaction du programme. Le résultat attendu et la traçabilité majeure de cette situation de travail et de communication est l’écriture et la validation du programme. « Le maître d’ouvrage définit dans le programme les objectifs de l’opération et les besoins qu’elle doit satisfaire ainsi que les contraintes et exigences de qualité sociale, urbanistique, architecturale, fonctionnelle, technique et économique, d’insertion dans le paysage et de protection de l’environnement, relatives à la réalisation et à l’utilisation de l’ouvrage » (loi MOP). Les acteurs choisissent les documents à transmettre au maître d’oeuvre : programme type, règlements, levée topographique, études de sols. La rencontre à ce niveau se fait de plus en plus large. La nouveauté réside notamment dans la définition des objectifs environnementaux de l’opération, reliés au référentiel Habitat & Environnement de Cerqual. D’une situation de communication qui relevait essentiellement auparavant de la coordination (un monteur d’opération accumulait et recomposait un ensemble de traces glanées sur des supports archivés, numériques, papiers, en ligne ou non), la situation relève désormais beaucoup plus de la coopération. Les traces accumulées par les autres acteurs seront toujours considérées comme une mémoire à investir dans le projet mais il y a une dynamique d’échange collectif qui se crée.

Le livrable est le programme rédigé. Chaque projet fait ainsi l’objet d’une partie recherche et développement sur l’ensemble des thématiques afin de gérer au mieux, entre autre, le chantier propre, le confort d’été, le confort d’hiver, la gestion de l’eau, des déchets, le management de l’opération. Mais une grande partie des précisions concernant la définition du programme est déterminée en amont, lors de la préparation du comité d’investissement, les descriptifs étant inclus au sein du rapport livré au comité d’investissement, dans le processus « Etude de faisabilité » qui précède le processus « Produire ». Le cahier des charges transmis au maître d’œuvre est donc très largement inspiré par ce qui constitue le rapport du comité d’investissement qui est la trace et la mémoire principale de cette phase de préparation qui devient majeure dans le cadre de la capitalisation des connaissances et des bonnes pratiques requises par le référentiel Cerqual dès le début du projet. Les temporalités de cette situation sont relativement stables au sens où l’on repère peu de rupture de flux. Un espace sur plateforme collaborative dédié à cette situation est alors en cours de construction. Cet espace recevra les traces intermédiaires et le livrable général, permettra aux acteurs de coopérer, sera un élément de la capitalisation et de la mémoire organisationnelle.

La situation qui suit est une analyse des offres des maîtres d’oeuvre sur la base du programme rédigé. Les documents (publicités et contrats) sont mis en ligne et à la discussion. Le monteur d’opération intervient si besoin. Pour cette situation, le monteur d’opération et le service Achats vérifient les expériences et contrôlent les références, lisent les lettres de motivation et les côtent, vérifient les compétences en matière de développement durable, notent la proposition d’honoraires, choisissent trois candidats, auditionnent, rédigent un rapport de dépouillement, participent au jury du choix du maître d’oeuvre, font valider le choix par le directeur général et font passer la décision en bureau de conseil d’administration. En livrable de sortie de cette situation, le maître d’oeuvre est choisi. Le basculement en mode projet et la nécessité d’intégrer l’ensemble des parties prenantes le plus en amont possible fait que désormais, les collectivités territoriales sont intégrées dans le choix de la maîtrise d’oeuvre, en fonction des projets présentés. Cette situation associe à la fois des activités de coordination et de coopération. Coordination car il s’agit de déposer des documents sur plateforme collaborative qui seront renseignés de manière séquentielle par plusieurs acteurs. Coopération dans la délibération sur le choix de la maîtrise d’oeuvre. Sur les échanges de documents et d’informations entre le monteur d’opérations et le service Achats, la communication se fait essentiellement autour de documents formalisés et stables. Les discontinuités ou les ruptures de flux sont finalement peu fréquentes. Lors des jurys de choix de la maîtrise d’oeuvre, la situation de communication relève essentiellement de la coopération où il s’agit de s’entendre et d’échanger autour d’un projet d’architecte. Peu de discontinuité à noter également sur cette activité assez stable qui ne souffre pas de rupture de flux. Un maître d’oeuvre est systématiquement choisi. Les discontinuités et les ruptures constatées le sont lorsqu’il n’y a pas de proposition de maître d’oeuvre. Un cas qui se retrouve beaucoup plus à un autre moment du processus, lors des propositions des entreprises qui, en cas de marchés porteurs, ont tendance à délaisser les bailleurs sociaux, moins bons payeurs que les promoteurs privés ou le marché des particuliers. La capitalisation de ces échanges se réduit au choix du maître d’oeuvre, renseigné dans une autre technologie plus particulièrement chargée de la coordination des opérations.

La situation suivante est l’analyse de l’esquisse et de l’avant-projet sommaire produit par le maître d’oeuvre. La direction maîtrise d’ouvrage et patrimoine sollicite ici l’agence. L’agence (responsable d’agence, adjoint au responsable d’agence et techniciens) est sollicitée pour assister aux remises et aux présentations des dossiers Esquisses et APS (Avant-projet sommaire). Le monteur d’opération met les documents sur plateforme collaborative et rédige le compte rendu de la rencontre, document mis également sur plateforme collaborative et envoie une alerte aux personnes de l’agence qui ont été sollicitées afin qu’elles puissent livrer leurs observations, suggestions et commentaires si elles n’ont pu assister à la rencontre. Les différentes traces de cette situation de travail et de communication seront également capitalisées dans un espace collaboratif dédié. Activité de coopération relativement stable, le processus poursuit son chemin sans risque de discontinuité à ce niveau-là.

L’ensemble des situations de travail et de communication suivante qui doivent s’enchaîner pourront être analysées à l’aune des mêmes éléments : présentation du projet à la commission Avant-Projet Sommaire, contrôle de l’avant-projet définitif, préparation de la passation des marchés de travaux, arrêt des conditions financières de réalisation en constituant le dossier de financement, organisation de l’exécution du programme, pilotage de l’exécution du programme, finir et de réceptionner les travaux. Autant de situations prises dans la logique du processus « Produire » qu’il s’agira de mettre à distance et de décrire.

Conclusion

Avec cette méthode de description des processus, nous proposons une approche communicationnelle des organisations qui ne soit pas fondée sur l’objet mais sur la méthode d’observation et de description. Selon cette approche, est communicationnel non pas l’objet mais le dispositif qui capte.

Par ce dispositif, nous tentons de saisir une intelligence organisationnelle qui se propage, et qui fonctionne donc sur le mode du processus. Ainsi, nous dirons qu’une intelligence organisationnelle est constituée de traces, de temporalités et de mémoires en mouvement, toujours en devenir, des actants en interaction qui participent à la construction des situations et des processus pour lesquels l’organisation a été créée. Grâce à la description de cette intelligence organisationnelle, nous pouvons ainsi construire des dispositifs numériques qui puissent accompagner les acteurs. En d’autres termes, nous construisons et décrivons « un dispositif d’intelligence organisationnelle qui donne enfin aux acteurs l’occasion d’expliciter leurs pratiques» (Cochoy, Garel et de Terssac, 1998) et de les accompagner dans leurs pratiques. A chaque situation de travail et de communication analysée pourra alors correspondre un espace collaboratif numérique ouvert construit sur le mode du processus, en interaction avec les autres situations. Par cela, nous contournons le problème des cartographies spatiales qui écrasent l’histoire pour tenter de créer une cartographie dynamique sur laquelle les acteurs agissent et qui intègre les traces, les mémoires, les temporalités, les référentiels, les interactions, les institutions, les outils.

Bibliographie

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Castoriadis C., 1976, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 538 p.

Chaudet B., 2010, « Plateformes collaboratives et logiques processuelles dans l’évolution des formes organisationnelles : Pour une conception étendue de l’information organisationnelle », Communication des organisations : Recherches récentes, Paris, L’Harmattan, p. 164-173

Cochoy F., Garel J.-P., Terssac de G., 1998, « Comment l’écrit travaille l’organisation : le cas des normes Iso 9000 », Revue française de sociologie, 39-4. p. 673-699.

Corniou J.-P., 2002, La société de la connaissance, Paris, Hermes Sciences Publication.

Grosjean, S., Bonneville, L., 2009, « Saisir le processus de remémoration organisationnelle des actants humains et non humains au coeur du processus », Revue d’anthropologie des connaissances, 3(2), p. 317–347.

Hutchins E., 1995, Cognition in the wild, Cambridge, MIT Press.

Latour B., 1984, Irréductions, Paris, Editions A-M Métaillé.

Le Moënne C., 2007, Quelques remarques sur la portée et les limites des « modèles de communication organisationnelle », Bordeaux, Communication et organisation.

Leroi-Gourhan A., 1964-1965, Le geste et la parole, 2 tomes, Paris, Albin Michel.

Levan S.K., 2004, Travail collaboratif sur internet. Concepts, méthodes et pratiques des plateaux projet, Paris, Vuibert, 308 p.

Simmel G., 1999, Sociologie, études sur les formes de socialisation, Paris, PUF.

Simondon G., 1989, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier.

Stiegler, B., 1996, La technique et le temps, Paris, Gallilée.

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Appel à communication pour un colloque international

Appel à communication

Colloque international

« IN-FORMATION ET COMMUNICATIONS ORGANISATIONNELLES : ENTRE NORMES ET FORMES»

Les 08 et 09 septembre 2011 à l’Université Européenne de Bretagne – Rennes 2

Organisé par l’Equipe d’Accueil PREFics (PREFics.org)

Programmes de Recherches Francophonie, Information Communication Sociolinguistique En partenariat avec l’EHESP, la revue « Communication et Organisation », le Conseil Scientifique de l’Université Rennes 2, le Conseil Régional de Bretagne, le Conseil Général d’Ille et Vilaine, et Rennes Métropole.

 Téléchargez l’appel à communication ici : Colloque

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Rattrapage UEP L2 Organisations, traces et écritures

Rattrapage de six heures de cours UEP L2 Organisations, traces et écritures

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Support de cours UEP Organisation, traces et écritures 2010-2011, Rennes 2

Support de cours UEP L2 Organisation, traces et écritures 2010-2011

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Colloque international Communications-organisations et pensées critiques

utf-8 »Appel à communication critique et communication des organisations BAT(2)

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Descriptions processuelles et plateformes collaboratives dans des épistémologies positivistes ou constructivistes : Une approche popperrienne des organisations

Texte présenté lors du 17ème congrès de la SFISC à Dijon le 25 juin 2010

Introduction

Les agencements collectifs entre les hommes, les organisations et les techniques se déploient dans des contextes différents. Il peut s’agir de contextes temporels, spatiaux, organisationnels, mais aussi de contextes anthropologiques et épistémologiques. C’est-à-dire que la manière dont les acteurs pensent et conceptualisent le monde définit, en partie, des logiques d’actions spécifiques. Il ne s’agit pas de nier l’existence d’une réalité qui préexiste à nos actions en disant que ces dernières informent le monde totalement. Il s’agit plutôt de pointer le fait que le monde des énoncés et des idées que nous trouvons en arrivant structure notre rapport au monde et la manière dont nous construisons les artefacts. Ainsi, nous voulons faire un parallèle entre le développement des systèmes d’information et les contextes épistémologiques dans lesquels ils se trouvent. Pour illustrer ce propos, nous prendrons l’exemple des descriptions processuelles et d’une plateforme collaborative utilisée dans un contexte professionnel et nous verrons comment elles peuvent se développer dans une épistémologie positiviste ou constructiviste. Bien sûr, là comme ailleurs, les frontières ne sont pas aussi étanches que cela. Pour autant, il est possible de constater des pratiques divergentes qui relèvent pour certaines d’un modèle rationnel et normatif, et pour d’autres d’un modèle ouvert, pragmatique et critique. Pour le premier modèle, nous parlerons d’épistémologie positiviste, et pour le second, d’épistémologie constructiviste. Nous nous situons dans une approche poperrienne au sens où nous considérons que les hypothèses sont des constructions actives qui informent et transforment, en partie, le monde. Ce qui signifie que les hypothèses positivistes ou constructivistes peuvent tout aussi bien convenir. Finalement, c’est la réalité dans une perspective très empirique qui sélectionnera ce qui conviendra dans le long terme. C’est ainsi que des logiques d’action s’instituent et propagent ensuite leur manière de faire comme une mémoire institutionnelle, c’est-à-dire dans une logique où l’ensemble des institutions (langage, système technique, actant, normes, hiérarchies, croyances collectives…) qui nous précèdent, informent et structurent notre rapport monde. Nous formons donc l’hypothèse que nous héritons de deux siècles de pratiques positivistes qui informent et normalisent nos contextes professionnels et que l’une des difficultés est de passer à des pratiques qui prennent en compte l’évènement comme élément central dans l’émergence des formes organisationnelles. Il ne s’agit plus de penser des formes organisationnelles en amont, mais des formes qui émergent en fonction des évènements et des aléas des processus dans lequel les acteurs sont engagés. Il s’agit de passer d’une logique du travail posté sans responsabilité à une logique des situations de travail et de communication engageant initiatives et compétences.

Pour illustrer ce point de vue, nous voudrions dans un premier temps pointer quelques points de convergence entre l’évolution des formes organisationnelles et le débat épistémologique entre positivisme et constructivisme. Dans un second temps, nous illustrerons ce débat avec un exemple de forme organisationnelle qui utilise une plateforme collaborative et des descriptions processuelles dans le but d’améliorer son efficacité. Ce qui nous permettra notamment de décrire les formes de l’expérience que l’une ou l’autre épistémologie sollicite. Enfin, ces formes de l’expérience et l’acquisition de savoirs et savoir-faire seront abordées plus exclusivement à travers la question des mémoires et des informations organisationnelles qui forment et normalisent les situations de travail, pas toujours dans une logique rationnelle mais dans une logique processuelle empirique.

  1. Points de convergence entre l’évolution des formes organisationnelles et le débat épistémologique entre positivisme et constructivisme.

Nous héritons de deux siècles de Taylorisme qui s’est en fait surtout imposé en France après la Seconde Guerre mondiale. Le principe majeur du Taylorisme a résidé dans la séparation de la réflexion et de l’exécution par la parcellisation des tâches associées à un geste élémentaire. Cette posture est très proche du paradigme positiviste qui est aussi une pensée de la séparation qui postule qu’il y a un sujet séparé des objets, le premier ayant la capacité de penser le second de manière rationnelle. En somme, le monde a un ordre et il peut être pensé de manière rationnelle afin de trouver le « one best way », la bonne pratique, la bonne organisation, la théorie vraie. L’une des caractéristiques de l’épistémologie positiviste est en effet d’être tendue vers la recherche de la vérité, de la théorie vraie. La démarche scientifique tient alors dans le processus suivant : l’observation des faits, permet de développer une analyse, qui permet de construire des hypothèses lesquelles doivent être expérimentées, afin de les vérifier, ce qui viendra enrichir la théorie. Nous sommes ici dans une démarche de la vérification. Or, si le taylorisme est en crise et s’il s’agit de passer à des organisations post-tayloriennes, les critiques formulées à l’encontre des principes positivistes pourraient alors fonder une démarche alternative au positivisme et au taylorisme, ce que les nouvelles formes organisationnelles semblent prendre en compte.

La première critique que nous pouvons retenir concernant le dualisme est celle formulée par Berkeley qui postule qu’il est impossible de séparer l’objet de la perception que nous en avons. Ce que nous appelons la réalité implique à la fois le sujet et l’objet de façon indissociable. Vico ira plus loin dans la remise en cause du dualisme en disant que non seulement on ne peut pas séparer le sujet et l’objet mais surtout que cela ne sert à rien. Il s’agirait donc de passer à des logiques de la non-séparation, où le travail reviendrait dans le travailleur, où les logiques de la compétence remplaceraient les fiches de postes (Zarifian, 2004), où la séparation entre consommateur et producteur serait remis en cause (Stiegler, 2010), où le crowdsourcing se développerait comme pratiques pertinentes (Schenk, 2009)…

La seconde critique fondamentale du positivisme réside dans la remise en cause de la vérification comme démarche de validation de la connaissance. Selon Karl Popper, les hypothèses seront en effet toujours vérifiées par les tests expérimentaux car une hypothèse est une grille de construction du monde. C’est une façon de structurer la réalité, de faire surgir de la réalité et évidemment, l’hypothèse construisant la réalité qui doit la vérifier, la réalité vérifiera toujours l’hypothèse. D’où une conclusion de Karl Popper : toute hypothèse sera toujours vérifiée par des éléments que vous pourrez trouver dans la réalité que vous prétendez observer et que vous construisez en fait par votre observation, par vos pratiques. Donc, la vérification n’a aucune valeur. Karl Popper propose un autre critère de tests, des théories, des informations, des énoncés, c’est la réfutation ou falsifiable en anglais. A la fois réfutable logiquement et réfutable quant à l’adéquation à rendre compte des processus. Cette critique met à mal la recherche de la vérité ou la recherche de la bonne organisation. Dans cette nouvelle manière de penser, il ne s’agit plus d’observer pour dégager des bonnes pratiques, il s’agit de construire des concepts utiles et réfutables avec le statut d’aide à la réflexion. Il s’agit de se concentrer sur les limites de l’organisation. Et cette tension entre ces deux pratiques, de la vérification ou de la réfutation, est au coeur de la définition des systèmes d’information. « Les conceptions sous-jacentes à nos débats entre le « modèle de la norme » taylorien, dispositif de cadrage et de contrôle normatif de l’action d’une part, et les approches pragmatiques ouvertes et distribuées des modèles et des conceptualisation d’autre part, sont évidemment au cœur des débats et des luttes, pour la définition des Systèmes d’Information et des formes organisationnelles dans le contexte des Technologies de l’Information et de la Communication » (Le Moënne, 2007). Ces débats recoupent également ceux entre l’épistémologie positiviste et constructiviste si l’on veut bien considérer le positivisme comme une démarche du modèle de la norme et le constructivisme comme une démarche qui prend en compte le contexte comme réalité indépassable. Ainsi, ces manières de construire des connaissances se retrouvent également dans les manières de construire des systèmes d’information.

  1. Description processuelle et plateforme collaborative dans des épistémologies différentesPrenons l’exemple d’une forme organisationnelle qui s’appuie sur l’usage d’une plateforme collaborative et sur des descriptions processuelles pour piloter la qualité et pour développer une organisation transversale et ouverte plus à même de répondre aux difficultés des contextes. Selon l’épistémologie dominante, le développement du dispositif tendra soit vers un dispositif de contrôle normatif dans une démarche positiviste, soit vers un dispositif pragmatique ouvert et distribué dans une démarche constructiviste. Ainsi, dans une épistémologie positiviste, les descriptions processuelles des entreprises sont décrites en posant l’hypothèse que les actions menées par les acteurs sont rationnelles. Ces descriptions processuelles représentent l’organisation sous l’angle des flux d’informations qui traversent et qui structurent l’ensemble de l’entreprise. Cette analyse rationalise la majeure partie des activités qui ne l’étaient pas. L’ensemble des façons de faire sont décrites, documentées, normalisées, codifiées, en un mot rationalisées. A chaque activité correspond un livrable jouant le rôle d’un signal qui déclenche l’activité suivante, de manière assez proche de ce que Taylor a réalisé en proposant un langage rationnel de description du mouvement avec une équivalence en temps élémentaire. Ainsi, nous observons des pratiques managériales où les descriptions processuelles découpent l’activité en autant de tâches susceptibles d’être menées afin de rationaliser la production et d’obtenir une efficacité globale.

Dans cette épistémologie positiviste qui sépare les sujets et les objets, qui institue donc le dualisme, nous observons des services dont la mission est d’organiser les interactions entre les machines et les hommes. Les agencements collectifs sont alors pensés en dehors du contexte du travail et s’imposent de manière mécanique. Une fois décrits et normalisés, les processus sont ensuite mis en oeuvre via des systèmes d’information ou plus spécifiquement des plateformes collaboratives qui cadrent l’action. Les plateformes collaboratives sont ici des systèmes logiciels fermés dont toutes les situations et les interactions possibles ont été pensées en amont.

La modélisation des processus serait ainsi la carte qui représenterait le territoire. Le processus comme modèle idéal de l’entreprise où la production serait enfin pilotée de manière transversale. Dans l’approche taylorienne, les principes d’organisation scientifique pointent ce modèle idéal d’entreprise qui pourrait être atteint par la raison instrumentale ou, en d’autres termes, par la science positive, conçue comme rationalisation et mise en forme de la production, des machines, des matières premières articulées autour de normes, de standards, de règlements, de conventions, de contrats, de qualifications, de marques…

Les processus présentent ainsi une articulation moyens/fins dans une logique où les acteurs sont censés agir dans une rationalité en finalité selon les distinctions apportées par Max Weber. Il y a le postulat selon lequel dans telle situation de travail et de communication, il ne peut se présenter que telle ou telle possibilité à l’acteur qui ne peut donc prendre que telle ou telle décision ou tel ou tel chemin. Le processus se rapproche alors d’un réseau Pert ou d’un diagramme de Gantt qui pose l’hypothèse que les acteurs agissent en toute rationalité, le monde étant lui-même rationnel.

A l’inverse, unepensée des processus dans une logique constructiviste construira plutôt des modèles d’aide à la réflexion au lieu de construire des modèles de la norme. Elle ne considèrera pas ce qu’elle a accumulé dans ses cartographies comme les bonnes pratiques à suivre quelle que soit la situation. Elle proposera des éléments de réflexion qui permettront de penser en contexte. Les logiques d’action seront alors des trajectoires suggérées et des mises en formes de situations dans lesquelles les plateformes collaboratives seront une ressource à mobiliser pour résoudre les problèmes qui surviendront dans ce flux processuel. Il ne s’agit donc pas d’imiter le processus, mais de l’utiliser comme une aide à la conceptualisation de situations qui permettent de partager une visée commune. L’idée est de se mettre d’accord sur le processus dans lequel nous sommes engagés afin de référer l’action à un enjeu commun. La description du processus permet ainsi de voir ce que l’on attend de nous en situation, quelles sont les normes qui doivent structurer l’action, pour ainsi décider, en situation, des suites à donner. Il n’y a donc pas de séparation entre la réflexion et l’exécution. Non seulement la phase de mise à distance de ses pratiques condensées dans le processus a été réalisée par les acteurs qui sont en charge de ces situations, mais l’exécution ne fait pas l’économie de la réflexion dans la mesure où les acteurs sont autonomes et où l’on sollicite leurs compétences dans une logique de prise d’initiative et de responsabilité.

Dans cette perspective, les plateformes collaboratives sont construites en système ouvert et permettent de développer un rationalisme critique à la Karl Popper. Les espaces numériques sont susceptibles d’être réorganisés selon les noeuds de tension qui émergent en venant régulièrement réfuter la forme processuelle qui a été modélisée. Sous cet aspect, le processus est pris dans sa dimension émergente et imprévisible. Dans ces conditions, les formes techniques et organisationnelles doivent émerger de la situation et non d’un quelconque bureau des méthodes.

Une autre manière d’évoquer ces dynamiques est d’étudier les formes de l’expérience dans lesquelles se déploient l’activité professionnelle.

  1. Les formes de l’expérienceLà encore, que l’on soit engagé dans l’une ou l’autre dynamique, les formes de l’expérience, c’est-à-dire la manière dont les acteurs apprennent le travail sont différentes. Dans un monde positiviste, l’expérience que l’on acquiert des situations peut se faire sur le mode de la routine ou du métier. Dans une logique positiviste, nous vivons en effet dans un monde stable et rationnel que nous pouvons observer et vérifier par nos hypothèses, ce qui nous permet d’améliorer nos pratiques jusqu’au stade des si recherchées bonnes pratiques. Apprendre par la routine ou par le métier, cela signifie qu’avec le temps, nous intégrons un certain nombre de réflexes et d’automatismes qui ont été sélectionnés par l’environnement et qui seront donc toujours efficaces puisque l’environnement ne change pas. Agir par routine, c’est donc la possibilité d’agir sans réfléchir à ce que l’on fait, persuadé que la logique d’action que nous combinons arrivera à sa fin. Notre monde est composé en partie de ces routines qui sont cristallisées dans des dispositifs, des logiques d’action, des objets (numériques ou pas), en un mot dans nos institutions. Nous répétons les mêmes manières de faire, sans vraiment en avoir conscience, ce qui rejoint en partie le paradigme constructiviste : est sélectionné ce qui convient dans le projet, ici et maintenant.

    Appliquée aux développements des plateformes collaboratives, cela signifie qu’avec le temps, elles installent des routines dans les agencements opérés. Certaines séquences d’actions ont été intériorisés par le dispositif : ouvrir une discussion, organiser des documents, mettre en forme un projet… Si tout devait perpétuellement être à réinventer en permanence dans le projet émergent, ce serait épuisant. L’environnement sélectionne donc ce qui convient en contexte.

    La routine, c’est donc la question des mémoires qui sont portées par les objets et par les logiques d’action manuelles ou intellectuelles qu’elles impulsent. Il n’y a pas de distinction à ce niveau-là entre une routine manuelle acquise sur une ligne de production et une routine intellectuelle intégrée dans un contexte tertiaire. Le processus est le même. C’est une mémoire en activité qui déclenche ce qu’elle a retenue comme pouvant être pertinent pour répondre au problème qui se pose en situation. Cette routine s’acquiert le plus souvent par imitation et imprégnation et permet la transmission des savoir-faire non explicites, les connaissances tacites dont parlent Nonaka et Takeuchi. Dans ces logiques, les plateformes collaboratives sont des dispositifs de mémoire qui cristallisent l’expérience et qui, dans le même mouvement, ferment la possibilité d’émergence de nouvelles logiques d’action.

    Mais si la routine est ce qui permet de stabiliser des manières de faire, elle est aussi ce qui limite les capacités d’innovation. La routine est en effet active et utile dans une conception du monde anti-évènementielle où il ne peut pas surgir d’imprévu. Le monde est posé et prévu de telle manière que ce qui s’est produit une fois se reproduira toujours. Il n’y a pas à gérer d’évènement inattendus. Aussi, lorsque l’évènement se produit, les acteurs et les objets agis par la routine ont beaucoup de mal à s’en extraire. Puisqu’elle n’est plus réfléchie, puisqu’elle est enkystée dans les objets et dans l’ensemble des institutions qui nous informent, elle est très difficilement malléable. Dans ce contexte, la plateforme collaborative sera pré-programmée au regard des routines qui auront été identifiées. L’acteur n’aura aucune latitude pour inventer de nouveaux agencements adaptés aux évènements qu’il rencontre puisque l’on considère ici que le monde est prévisible. Dans un monde posé et donné, il est possible d’apprendre par la répétition de la même chose. Si ce phénomène est utile et indispensable, il est beaucoup plus problématique dans les contextes complexes. C’est un modèle peu ouvert à l’innovation, à la critique, aux démarche de projet, aux situations complexes… qui dominent les situations professionnelles qui ne peuvent se construire sans s’ouvrir aux autres métiers et pour cela développer des formes d’organisation transversale.

C’est pourquoi les nouvelles formes organisationnelles renouvellent cette forme de l’expérience par le virtuel et l’abduction (Zarifian, 2004), ce que nous pourrions aussi appeler les organisations projet. Ici, il s’agit d’imaginer les évènements qui pourraient venir interrompre le flux du processus de manière à essayer de les anticiper. Il s’agit de créer des modèles qui soient des aides à la réflexion et qui permettent de mesurer les écarts entre ce qui a été prévu et ce qui est réellement réalisé, dans une logique d’actualisation perpétuelle du virtuel. Ainsi, les plateformes collaboratives sont-elles le bras armé du processus qui s’actualise dans la plateforme. Les séquences d’action sont prévues en amont mais restent ouvertes de manière à être actualisées dans une plateforme collaborative qui permet tout à la fois de constater les écarts entre le processus et ce qui est survenu. Il y a donc apprentissage des mutations et de l’instabilité inhérente au monde. Les évènements ne sont alors plus considérés comme du négatif mais comme du positif, comme une occasion d’apprendre et d’agir. Puisque désormais le monde est devenu complexe, puisque les évènements émergent de toute façon, autant les considérer positivement et les appréhender de manière à ce qu’ils nous apportent quelque chose.

4. La question des mémoires et la remise en cause de la rationalité

Il faut aussi pointer le fait que les logiques de la routine, qui sont donc des logiques de la mémoire, ne sont pas des logiques rationnelles. Il n’y a pas de mise à distance réfléchie dans ces dynamiques-là. Ce sont des logiques de mémoires institutionnelles qui sont inscrites dans les objets, dans les actants, dans l’organisation considérée comme un processus perpétuellement émergent mais fortement normalisées par ces processus de mémoire qui sont toujours en construction et en évolution. D’où le fait qu’une situation de communication est toujours en tension entre une mémoire qui nous arrive, portée par l’environnement, et une pratique sociale ou organisationnelle qui actualise cette mémoire en la renégociant. Une situation de communication est donc toujours un peu différente, et toujours un peu semblable, sans quoi nous ne pourrions même pas communiquer. C’est dans cette tension et dans cette négociation que vient se nicher l’évènement comme forme émergente qui actualise la norme. Si la normalisation, la socialisation, la convention, nous permet de vivre ensemble, si notre univers est social avant d’être individuel, porté par les institutions, les formes sociales et les informations organisationnelles, c’est aussi la renégociation de ces normes qui marquent notre humanité, que ces renégociations se fassent de manière rationnelle dans une démarche typique de la modernité (est-ce qu’en droit nos lois ou nos pratiques sont valides ?), ou non rationnelle (pas d’institutionnalisation sans destitution) (Castoriadis, 1975).

Ce qui nous amène à remettre en cause la notion de rationalité ou en tout cas à ne pas la considérer de manière exclusive. Dans les logiques processuelles qui nous agissent, il faut poser l’idée qu’il existe des actions non rationnelles qui pour autant nous permettent d’atteindre nos buts. Cette idée, non valide dans une démarche positiviste, rejoint les réflexions de Michel Callon et Bruno Latour sur le savoir. Pour qu’un savoir en soit un, il faut qu’il en acquiert le statut. Or, dans nos organisations tayloriennes, les actions non rationnelles ne sont pas considérées comme des savoirs. Nous sommes encore dominés par une pensée positiviste et scientiste où toutes nos actions doivent pouvoir se justifier à l’aune d’une décision purement rationnelle. Peut-être est-ce là un des enjeux des organisations post-tayloriennes, si elles souhaitent prendre la mesure des logiques processuelles considérées dans une épistémologie constructiviste : prendre en compte nos actions non rationnelles et nos modes d’actions héritées dans nos descriptions processuelles et surtout, prendre le processus pour ce qu’il est, c’est-à-dire un dispositif heuristique qui aide à la réflexion mais qui ne prétend pas au pilotage systématique des actions.

Car si nous posons l’idée que les actions sont rationnelles, nous construisons des systèmes qui témoignent effectivement d’une démarche rationnelle mais qui passe à côté des actions qui ne le sont pas et qui pour autant permettent de faire fonctionner très concrètement l’organisation. Il faut donc rappeler l’importance et les limites des processus institutionnel, des logiques de la routine, qui sont un ensemble de logiques d’action qui se sont instituées pour des raisons que les acteurs ne sont pas explicitement capables de formuler. Elles se sont instituées parce qu’elles convenaient, tout simplement, et non pas parce qu’elles témoignaient d’une rationalité optimale. Il y a donc quelque chose, dans les processus institutionnels, qui est irréductible à la rationalité et qui ne peut donc pas être posé dans ces systèmes rationnels. C’est d’ailleurs toute la difficulté entrevue par la distinction entre connaissance tacite et explicite. Il y a des connaissances explicites qui ne peuvent pas être récoltées parce qu’elles n’ont pas le statut de savoir. Mais plus que cela, elles sont littéralement impossibles à formuler car elles sont tellement intégrées dans nos formes organisationnelles que nous n’avons même pas conscience de les mettre en oeuvre. Il y aurait donc toujours de l’hétéronomie, c’est-à-dire des propagations de formes qui ne relèvent pas des logiques rationnelles en finalité mais qui relèvent aussi de logiques traditionnelles, non rationnelles. Il y a de l’hétéronomie en ce sens où nous sommes toujours reliés et non pas autonomes absolument. Nous sommes reliées à toutes nos institutions, nos informations organisationnelles qui nous informent dans l’action. L’homme n’est pas une espèce rationnelle, est-il besoin de le rappeler ? Les animaux sont à ce titre beaucoup plus rationnels que nous. Et pourtant, nous nous bornons à représenter nos actions ou à élaborer nos stratégies sur la base de processus rationnels. Si ces processus permettent effectivement d’organiser l’action ou de la penser, elles ne s’y réduisent pas. Ce qui nous écarte en partie du rationalisme critique de Popper. Les plateformes collaboratives permettent de développer un rationalisme critique par la possibilité qui est offerte à chacun de critiquer les énoncés produits. Mais il s’agit aussi de considérer l’évolution des formes organisationnelles dans une perspective évolutionniste où ce qui est retenu par l’environnement n’est pas absolument rationnel. Est retenu ce qui convient, la convenance n’ayant pas toujours à voir avec la vérité ou la rationalité.

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